Panis

Olivier Kosta-Théfaine "Un rideau fleuri. Cache la pluie, le vent."

Panis - 77 rue Jeanne d'Arc 76000 Rouen, France
Du 13/02/2025 au 31/03/2025

Olivier Kosta-Théfaine "Un rideau fleuri. Cache la pluie, le vent."

Par la racine

Plutôt qu’un atelier, Olivier Kosta-Théfaine éprouve de fond en comble le territoire resserré de son île. C’est elle qui fournit à ses œuvres leur facture, à mi-chemin entre la mer et la terre, entre le chaos primordial d’un ossement échoué sur la grève et le joli coquillage poli par le ressac – là où la relique et le dérisoire sont une seule et même chose. Nous ne sommes pas dans l’état limite et tragique d’une zone de bascule, mais dans la mince épaisseur de la frange, définie par ce qui de deux mondes a accepté de se rencontrer. Fine pellicule de fumée, où tout se passe : la trace au mur charge la pièce de toute la présence d’un feu, ou des présences de tous les feux, de cheminée ou de poubelle, d’émeute ou de barrière, feu de joie ou feu sauvage.

Éprouver le territoire, c’est pour l’artiste gratter jusqu’au cœur d’une analogie formelle – la certitude que l’étroitesse de cette bande de terre se tient dans une affinité avec les territoires arpentés de son adolescence, et que l’île est au continent ce que la banlieue est à la ville. Dès lors, nulle œuvre ne saurait s’écrire dans le matériau de l’une sans articuler la langue de la seconde. Les crépis des barres de banlieue, les crevasses de leurs escaliers… Les traces de vie laissées aux bas des blocs, par l’ennui et les envies d’ailleurs de celles et ceux qui y grandissent comme des fleurs sur une lande, agissent comme un révélateur de ce territoire des confins d’un monde balayé par les embruns, le sel et les tempêtes.

En intercesseur de ce processus quasi chimique, l’artiste saigne les couleurs, décortique les textures, fixe les pigments récoltés et couche, décantée sur le papier, la sédimentation de cette dissection quotidienne. Il prend les formes à la racine, là où se coupent les plantes. C’est en épluchant un oignon qu’on en respire l’essence ; c’est en décortiquant un concept qu’on trouve ce qui le fait être et ce qui le fait n’être plus. C’est en désossant les éléments graphiques de son environnement qu’Olivier Kosta-Théfaine en raffine les camaïeux essentiels, les monochromes, les motifs élémentaires.

Dans ce flirt incessant avec l’agencement décoratif, il ne s’agit pourtant jamais de rendre ou faire joli : la forme n’est jamais pensée comme un enjoliveur. Si le décoratif a sa place, c’est dans cette frange étroite où il se mêle à l’environnement naturel et se laisse saisir dans le concept de ce dernier ; lorsque sa décrépitude, âpre et entêtée, lui permet de se fondre dans le paysage où Olivier Kosta-Théfaine compose sa grammaire formelle. Le caractère sommaire de cette plastique n’est pas dû au seul héritage d’une peinture qui s’est historiquement ramenée à son vocabulaire le plus strictement propre de lignes et de surfaces. Elle est aussi l’expression d’une pauvreté commune à la sauvagerie âpre de la nature de l’île et à la périphérie semi-urbaine et bétonnée de la banlieue : la pauvreté non comme état de fait, mais comme moyen de faire – comme le plus riche des moyens de faire.

Rose Vidal